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La Langue des Signes Française, une autre manière d’être au monde

Article publié le mardi 17 janvier 2017.


La surdité est bien plus qu’un diagnostic médical, c’est aussi un phénomène culturel, incarné par une langue visuelle et gestuelle, la Langue des Signes Française. Les sourds qui signent constituent une minorité linguistique. La surdité est donc un handicap à la fois individuel et groupal.

Dans le cadre des Matins des psys, la chronique est tenue par Martine Dethorre, psychologue et psychanalyste.

La surdité est en effet bien plus qu’un diagnostic médical, c’est aussi un phénomène culturel, incarné par une langue visuelle et gestuelle, la Langue des Signes Française. Les sourds qui signent constituent une minorité linguistique. La surdité est donc un handicap à la fois individuel et groupal.

C’est aussi un handicap bien partagé : si vous, entendant, parlez en français à un sourd , il ne peut vous entendre, il est handicapé ! Mais, vous, vous l’êtes aussi handicapé, puisque votre langue devient inopérante. Les uns et les autres deviennent sourds...et muets. Si, de plus, un sourd s’adresse à vous en LSF (Langue des Signes Française), là, vous arrivez carrément en terre étrangère. La surdité touche chacun dans ce qu’il a de plus intime : son corps, sa langue et ses relations à l’autre. C’est bien pourquoi la rencontre avec une personne sourde peut créer chez celui qui entend et qui parle un sentiment "d’inquiétante étrangeté", comme le nommait Freud. Cet être qui me ressemble tant mais qui n’entend rien à ma voix, dérange et fascine.

Tout d’abord un peu d’histoire

Le 21 mai 1981, François Mitterrand avance, la rose à la main, vers le Panthéon, accompagné de l’Hymne à la joie et de milliers de Parisiens joyeux. Ce même jour, je suis embauchée dans un établissement pour enfants sourds et accueillie par ces mots d’un autre âge : "Ici, on parle ! Les professionnels ne doivent s’adresser aux enfants qu’oralement, alors pas de gesticulation !". Surprise, j’ose une remarque : "Mais, les enfants, ils sont sourds, comment font-ils pour oraliser ?". Ma stupéfaction n’a alors d’égale que ma méconnaissance de l’histoire de la surdité et des sourds depuis l’Antiquité.

Les préjugés sur les sourds ont la vie dure. Ils alimentent sans cesse des représentations qui rappellent la controverse de Valladolid à propos des Indiens d’Amérique (en 1550) : les sourds ont-ils une âme ? sont-ils intelligents ? capables d’abstraction ? la LSF est-elle une vraie langue ? ont-ils un inconscient ? Etc...etc... L’enjeu de ces questions est toujours fondamental puisqu’il s’agit des rapports entre l’homme, sa pensée et son langage, et parfois même, au-delà, il s’agirait de savoir si, en fait, les sourds seraient vraiment des êtres humains ? Directe ou édulcorée, consciente ou non, la mise en cause est profonde. Elle amènera en 1880 l’interdiction de la LSF dans le champ de l’éducation pendant un siècle. Dévalorisée, cette langue a continué à exister quasiment clandestinement, mais s’est appauvrie et marginalisée.

Les sourds ont également été attaqués dans leur existence même. D’abord objet de l’eugénisme américain, puis cobayes des nazis : considérés comme dégénérés, ils seront massivement stérilisés puis gazés, lors de l’opération T4, au nom d’une recherche de perfection biologique de la race, dans un génocide médicalisé qui préparait méthodiquement celui des Juifs et des Tsiganes. Qu’en est-il en 2017 ?

A ce jour, aucun organisme public ne peut dire combien de Français sont sourds (3 voire 4 millions est le chiffre avancé, mais il inclut toutes les personnes gênées auditivement y compris les personnes âgées), ni dire combien pratiquent la LSF (on parle de 100 à 200.000 personnes...). Pourtant, la surdité est le handicap le plus fréquent à la naissance (1 enfant sur 1000). En tous cas, les sourds restent étonnamment absents de la sphère publique. Si la surdité est un handicap invisible, les sourds comme minorité linguistique et culturelle le demeurent également. Bien que réhabilitée en 1991 par la loi Fabius, la LSF (Langue des Signes Française) peine à trouver une place sociale réelle : pas de traduction en LSF systématique à la télévision, pas de cours de LSF au lycée, peu d’œuvres artistiques interprétées au cinéma ou au théâtre par des sourds...Comment un enfant sourd peut-il se développer sans voir dans la société des sourds adultes auxquels s’identifier pour grandir ?

Une autre manière d’être au monde

Pourquoi priver notre pays de l’inventivité culturelle que permet l’usage d’une langue gestuelle (danse, théâtre, humour...un autre regard sur le monde, en somme ) ? Comment pourrions-nous transformer un dialogue de sourds historique en un bilinguisme humanisant et plutôt joyeux ? Pourquoi ne pas reconnaître la Langue des Signes Française comme langue nationale ?

Serait-ce par peur de trahir la langue française ? ou par peur de l’amoindrir, de perdre alors une partie de soi, un morceau d’identité ?

Force est de constater qu’en France, le rapport aux langues reste un sujet hautement sensible.

La Révolution de 1789 a promu le Français seule langue de la Nation, interdisant les langues régionales et les patois pourtant alors, grandement majoritaires dans le pays. Au nom de l’instruction publique, elle a instauré la représentation d’une langue unique comme incontournable. Dès 1792, elle ferme ses frontières aux amis étrangers, reprend la nationalité française qu’elle a largement octroyée aux étrangers qui vivent sur son sol. Deux siècles plus tard, en Juin 1992, la 5éme République réaffirmera avec force, par un article dans la Constitution, le Français comme seule langue de la République...Un pays, une nation, une langue... ?

L’histoire s’invite à tout moment lorsqu’on parle des sourds et de leur langue, et, pour peu qu’on tende l’oreille, si leur histoire est spécifique, elle est aussi la nôtre, à nous, qui entendons et parlons.

Source Fhttps://www.franceculture.fr/emissions/le-jrance Culture


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