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Dépistage néonatal : la position du réseau RAMSES

Article publié le mardi 22 janvier 2008.


Le réseau RAMSES, Réseau d’Actions Médico-psychologiques et Sociales pour Enfants Sourds vient de faire paraitre une analyse sur le dépistage néonatal dont les conclusions rejoignent celles de l’UNAPEDA

Nous publions le texte ci-dessous avec l’aimable autorisation du réseau RAMSES.

Pourquoi nous sommes contre la généralisation du dépistage néonatal de la surdité !

Le Comité Consultatif National d’Ethique vient de rendre, le 10 janvier 2008, un avis défavorable à la généralisation du dépistage néonatal de la surdité dans les maternités, donnant ainsi raison aux nombreux professionnels qui émettaient des doutes sérieux quant à l’intérêt et, surtout, quant à l’innocuité de ce dépistage. Certes l’âge moyen du diagnostic de la surdité est en France d’environ 16 mois, beaucoup trop tardif pour un pays développé et l’on peut raisonnablement penser que plus la prise en charge est précoce et plus l’enfant aura des chances d’accéder au langage. Il convenait donc de rattraper ce retard... Fallait-il, pour autant, préconiser un dépistage de la surdité à une période dont tous les auteurs s’accordent à dire qu’elle est cruciale pour le développement de l’attachement et des interactions précoces parents-enfant, dans lesquelles s’enracine le langage, et qui sont à la base du développement de la personnalité de l’enfant comme de son développement cognitif ?

La surdité n’est pas, en effet, un handicap comme un autre : c’est l’un des seuls qui touche la communication et l’accès à la langue. Chez le jeune enfant, on a pu observer, après l’annonce de sa surdité aux parents, une rupture de la communication responsable de réactions dépressives, voire autistiques, parfois durables. Dans les premiers jours de vie, l’évocation et l’annonce d’une surdité sont donc susceptibles d’entraîner des perturbations psychiques sérieuses, pour la plupart inconscientes, chez les parents, et de perturber gravement la mise en route des relations précoces.

Le dépistage néonatal de la surdité a été expérimenté dans certaines maternités par la Caisse Nationale d’Assurance Maladie des Travailleurs Salariés (CNAMTS) entre janvier 2005 et juin 2007, sous l’égide de l’Association Française pour le Dépistage et la Prévention des Handicaps de l’Enfant (AFDPHE) [1]. Cette expérimentation s’est déroulée dans des conditions de transparence très relatives et a bénéficié, avant même que le résultat de son évaluation soit connu, de l’aval de certains professionnels et d’un avis favorable de la Haute Autorité de Santé (HAS) [2]. Elle s’est mise en place sans consultation des professionnels de la psychiatrie et de la psychologie de l’enfant sourd. Le test de dépistage, insuffisamment fiable, inquiète à tort de nombreuses familles puisque le diagnostic positif de surdité n’est confirmé, trois à quatre semaines après, que dans un cas sur dix [3]. L’accompagnement psychologique pendant cette période sensible est quasi-inexistant. L’évaluation des conséquences psychologiques, à court et moyen terme, semble avoir été oubliée.

L’avantage attendu vaut-il la peine de courir un risque, méconnu car non évalué, de conséquences délétères sur le plan du développement psychologique de l’enfant ? Les professionnels de la santé mentale de l’enfant sourd réunis au sein de l’association RAMSES [4] en doutent fortement et ont, dès 2006, adressé un texte au Ministère de la Santé, à la CNAMTS et à l’AFDPHE [5]. En février 2007, ils ont saisi le CCNE.

Si les professionnels de la santé mentale de l’enfant sourd sont particulièrement attentifs à la question de la prévention des troubles psychiques c’est que, précisément, le soin psychique de l’enfant sourd laisse à désirer : les prises en charge sont souvent trop tardives, à un âge ou à un stade où la psychopathologie est déjà évoluée. La souffrance psychique est mal repérée et parfois déniée chez l’enfant sourd. La prévention et le dépistage des troubles psychiques sont donc une nécessité particulièrement cruciale. En psychiatrie, la prévention fait partie des soins et n’est pas l’apanage des professionnels du soin : au contraire, elle fait appel, très largement, aux familles et à tous les professionnels qui gravitent autour de l’enfant.

Rassembler tous les professionnels qui se sentent concernés par le développement psychique de l’enfant sourd a été un des objectifs de l’association RAMSES depuis sa création il y a plus de 15 ans, en organisant notamment des journées d’études, des soirées-débat et des groupes de travail. La prévention a été le thème de la 9ème journée d’études « Lorsque l’enfant sourd paraît...Prévention des troubles psychiques chez le bébé et le jeune enfant sourds », qui a eu lieu à Paris le 12 octobre dernier. Cette journée a été l’occasion de réfléchir sur les conditions psychologiques de l’accueil d’un bébé dans une famille et du suivi spécialisé du jeune enfant sourd en éducation précoce. Au cours de cette journée, le dépistage néonatal de la surdité a été vivement critiqué, non pas tant pour des raisons techniques que pour des raisons éthiques.

Mais dire non au dépistage néonatal de la surdité n’est pas dire non au dépistage précoce.

La plupart des professionnels de la santé mentale de l’enfant sourd, représentés ou non par RAMSES [6], préconisent un dépistage précoce de la surdité, mais plus tardif que le dépistage néonatal, vers le 3ème ou le 4ème mois. Nous attendions donc du Comité Consultatif National d’Ethique un avis du même ordre, afin de préserver les chances du nouveau-né de construire des relations précoces satisfaisantes avec ses parents, gages d’un développement futur harmonieux de sa personnalité.Aucun argument sérieux, notamment scientifique, ne nous semblait, en effet, justifier un dépistage néonatal précoce à J1 de la surdité dans les conditions de l’expérimentation actuelle. Les études publiées en Grande Bretagne et aux USA vont également dans le sens d’un questionnement sur l’apport réel de ce dépistage néonatal sur l’expression langagière ultérieure des enfants sourds.

Nous proposons, en revanche, une réflexion approfondie sur la possibilité d’effectuer un dépistage précoce à distance de la période néonatale comme certains pays l’ont mis en place avec succès (Belgique, Luxembourg), dépistage qui pourrait concerner également les troubles visuels et neuro-moteurs. Ce dépistage, moins « précoce » mais effectué avant 4 mois, aurait le mérite de préserver les relations mère-enfant et d’éviter un risque psychopathologique majeur autour de la naissance, sans retarder pour autant la prise en charge d’une possible surdité [7]. Il ne nous semble pas inconcevable de modifier le calendrier des visites post-natales pour le réaliser et fiabiliser le résultat. Une étude de coûts devrait en préciser la faisabilité.

Par ailleurs, nous faisons un certain nombre de propositions afin de prévenir les troubles psychiques dès l’annonce d’une surdité, tant au moment du dépistage que du diagnostic. Cette prévention implique, notamment, de protocoliser l’annonce en tenant compte des recommandations de la circulaire ministérielle de 2002 [8] et d’impliquer systématiquement un psychologue ou un pédopsychiatre lors de l’annonce du diagnostic, en lien avec le médecin annonceur. Il nous semble également important de garantir une information pluraliste des familles par les Centres de Dépistage et d’Orientation de la Surdité (CDOS), favorisant notamment l’accès précoce à la Langue des Signes Française, comme l’a préconisé un avis précédent du Comité d’Ethique [9]. Il est également indispensable d’étayer et de développer les moyens permettant le suivi et l’accompagnement précoces, dès le diagnostic mais aussi pendant la période de doute précédant celle du diagnostic éventuel. Les résultats de l’étude commandée en 2006 par le Ministère de la Santé au CTNERHI [10] sur les capacités d’accueil et les compétences des centres d’accompagnement familial et d’éducation précoces permettront certainement de mieux connaître les moyens actuels et d’adapter ceux-ci aux besoins des enfants dépistés précocement. Une avancée importante est représentée par le projet récent de la HAS de produire des recommandations en direction des professionnels concernant la prise en charge des enfants sourds de 0 à 3 ans. Un des principaux objectifs de ces recommandations doit être la prévention des troubles psychiques du bébé et du jeune enfant sourds. Nous appelons donc au dialogue et à la concertation de tous les professionnels concernés pour mener à bien cet objectif.

PARIS, le 16 janvier 2008

Dr Danièle AZEMA (pédiatre, DESC de pédopsychiatrie),
Dr Jean-Michel DELAROCHE (pédopsychiatre),
Nicole FARGES (psychologue),
Dr Jean-François HAVRENG (psychiatre),
Myriam MADILLO (psychologue),
Eduardo PLAZA (psychologue),
Dr Marie-Claude PONSERRE (pédopsychiatre).

Plus d’info sur le réseau RAMSES

Visiter leur site : ramses.asso.free.fr/

[1] L’Association Française pour le Dépistage et la Prévention des Handicaps de l’Enfant (AFDPHE) est une association de professionnels fédérant des associations régionales et dont le but initial était de « dépister chez tous les nouveau-nés certaines affections graves et très invalidantes, et de donner à l’enfant atteint, dès la naissance, avant l’apparition de tout symptôme, un traitement lui permettant d’échapper à son handicap ».
Le premier dépistage mis en place en France a été celui de la phénylcétonurie. Le dépistage a été étendu à quatre autres maladies par la suite : hypothyroïdie congénitale, hyperplasie congénitale des surrénales, drépanocytose, mucoviscidose.

[2] La Haute Autorité de santé, organisme public indépendant d’expertise scientifique, consultatif, formule des recommandations et rend des avis indépendants. Créée le 13 aout 2004, elle regroupe un certain nombre de commissions, dont l’ancienne Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en Santé (ANAES).

[3] Et seulement un cas sur vingt d’après les premiers résultats de l’hôpital Trousseau à Paris (émission « L’œil et la main », FR5, novembre 2008).

[4] Réseau d’Actions Médicopsychologiques et Sociales pour Enfants Sourds, 226 Avenue du Maine 75014 PARIS (http://ramses.asso.fr).

[5] « Dépistage néonatal de la surdité et risque psychopathologique » : ce texte est disponible sur le site http://ramses.asso.fr .

[6] Virole B., Mise en critique du diagnostic précoce des surdités à deux jours de vie, texte publié en 2005 sur le site http://perso.orange.fr/virole .

[7] L’appareillage ne pouvant pas, en pratique, être adapté avant cet âge.

[8] Bulletin Officiel n°2002-18 : Circulaire cabinet santé, cabinet famille et enfance DHOS/DGS/ DGAS n° 2002/239, du 18 avril 2002 relative à l’accompagnement des parents et à l’accueil de l’enfant lors de l’annonce pré- et postnatale d’une maladie ou d’une malformation (texte non paru au Journal Officiel). www.sante.gouv.fr/adm/dagpb/bo/2002/02-18/a0181730.htm - 29k -

[9] N°044 Avis sur l’implant cochléaire chez l’enfant sourd pré-lingual. Rapport. (1994-12-01)

[10] Centre Technique National d’Etudes et de Recherches sur les Handicaps et les Inadaptations : Enquête sur les CAMSP et les SAFEP en France (http://www.ctnerhi.com.fr)


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