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La prise en charge par les organismes de protection sociale de l’optique correctrice et des audioprothèses
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Présentation
Deux Français sur trois ont des problèmes de vue et, au-delà de 55 ans, la moitié a des troubles de l’audition, proportion qui tend à s’accroître avec le vieillissement de la population.
L’optique correctrice et les audioprothèses représentent ainsi un marché annuel total évalué en 2011 à 6,1 Md€ environ, dont 5,3 Md€ pour la seule optique, soit le tiers environ de la dépense globale en dispositifs médicaux.
Ces produits ne sont que très peu pris en charge par l’assurance maladie obligatoire : la dépense de remboursement supportée par celle-ci n’a atteint en 2011 que 313 M€ (199 M€ pour l’optique et 114 M€ pour les audioprothèses). Inversement, il s’agit d’un domaine d’intervention très important pour les institutions d’assurance maladie complémentaire qui ont, en particulier, acquitté en 2011 une charge de 3,65 Md€ au titre de l’optique et de 246 M€ au titre des audioprothèses.
Dans le prolongement de précédents travaux sur le partage des dépenses de santé entre assurance maladie obligatoire et assurance maladie complémentaire457, la Cour a examiné les conditions dans lesquelles les organismes de protection sociale prenaient en charge ces dépenses.
Elle a constaté que le marché de l’optique et des audioprothèses, en croissance rapide, était opaque et peu concurrentiel (I). Les prix élevés qui en résultent pèsent d’autant plus sur les assurances maladies complémentaires et les assurés sociaux que la participation de l’assurance maladie obligatoire, traditionnellement faible, ne cesse de s’éroder (II). Dès lors, de nouveaux modes de régulation devront être mise en place pour remédier à cette situation (III).
(extraits)
Des marchés peu concurrentiels, opaques et chers
Les dépenses d’optique connaissent depuis des années une croissance soutenue et qui devrait perdurer. Celles d’audioprothèses, nettement plus modestes certes et peu aisées à appréhender, s’inscrivent dans la même tendance.
L’ensemble des dépenses de dispositifs médicaux en ambulatoire a connu une croissance très soutenue puisque ces dernières ont crû de 69% en volume entre 2000 et 2011.
Si le marché de l’optique a crû de 36 % en volume, celui des prothèses (incluant les audioprothèses), orthèses458 et véhicules pour personnes handicapées a progressé de 62 %.
Ces rythmes d’augmentation sont très supérieurs sur la même période à la fois à ceux de la population française (+7,3 %) et de la population âgée de 60 ans (+21,3 %).
Chacun de ces deux secteurs est dominé par quelques très gros fabricants. Le marché des audioprothèses est tenu par les six fabricants qui se partagent l’essentiel du marché mondial (Sonova, Siemens, William Demant, Starkey, GN Resound et Widex).
Le niveau des prix de l’optique correctrice et des audioprothèses demeure élevé alors même qu’on pourrait logiquement s’attendre à une tendance significative à la baisse du prix de ces équipements, les audioprothèses étant des produits électroniques produits en série et les lunettes étant faites de résines dont le coût de production tend structurellement à diminuer.
Ces prix élevés sont notamment expliqués par le rôle prescripteur des distributeurs. Le patient n’est très généralement pas en mesure de choisir son équipement en toute connaissance de cause. Le distributeur (opticien ou audioprothésiste) oriente notablement son choix. Comme l’a considéré l’Autorité de la concurrence, les opticiens « ont une grande influence sur le choix des consommateurs », le rôle de l’opticien « est décisif dans le choix par le patient de ses montures, de ses verres correcteurs ou de ses lentilles de contact » et l’optique se distingue « par la forte asymétrie d’information en défaveur des consommateurs ».
De même, en l’absence - fréquente -, de prescription précise de la part du médecin, qui n’est pas nécessairement un oto-rhino-laryngologiste (ORL), un audioprothésiste peut conseiller préférentiellement le recours à un produit haut de gamme, ce qui expliquerait qu’en France, à plus de 90 %, ce sont les audioprothèses relevant de la classe la plus chère qui sont vendues.
S’agissant des audioprothèses, des pratiques d’achat groupé permettent, en Allemagne ou en Suède par exemple, des prix réels pour le patient très inférieurs aux prix constatés en France.
De fait, sur les marchés français de l’optique et de l’audioprothèse, les critères de détermination des prix sont opaques, la comparaison des prix est très malaisée et la concurrence entre les principaux producteurs apparaît limitée : ce manque de transparence peut faire craindre que le patient français ne « surpaye » ces équipements.
Dans les deux secteurs, le niveau des prix s’explique dans une large mesure par celui des marges des intervenants de la filière.
Pour les audioprothèses, serait appliqué selon certaines études un coefficient multiplicateur moyen de 3 à 3,5 sur le prix d’achat, soit une marge brute de 2 500 € pour une paire d’ « oreilles » haut de gamme, les plus vendues. La vente d’un équipement par jour suffirait au distributeur pour être rentable.
Une très faible prise en charge par l’assurance maladie obligatoire
Les audioprothèses ne sont guère mieux prises en charge. Pour les patients au-delà de 20 ans, la base de remboursement est de 199,71 € par oreille. Comme pour l’optique, le taux de remboursement a été diminué en 2011, passant de 65 à 60 %. Dans ces conditions, l’assurance maladie obligatoire rembourse 120 € environ par oreille adulte, quelle que soit la catégorie de l’appareil, ce qui inclut la prestation de l’audioprothésiste (adaptation de l’appareil et suivi) et la TVA (à 5,5 % au lieu de 19,6 % pour l’optique). Pour les jeunes de moins de 20 ans, le montant remboursé varie de 540 € pour la classe A à 840 € pour la classe D.
Les frais d’entretien et de réparation bénéficient aussi d’un remboursement partiel.
Compte tenu d’un prix d’acquisition moyen de 1 535 € en 2011 selon la CNAMTS, le montant moyen de reste à charge par oreille après intervention de l’assurance maladie obligatoire s’élevait en 2011 à 1 400 € environ pour un adulte, soit un taux moyen de reste à charge de 91 %. Ce taux monte en réalité à 94 % pour l’acquisition, hors réseau de soins, d’une prothèse de gamme supérieure. Les jeunes et les personnes aveugles (5 % des usagers) bénéficient d’un taux de reste à charge sensiblement moindre, entre 54 % et 59 % selon le type d’appareil.
Ne représentant pour elle qu’un enjeu financier très secondaire, l’assurance maladie obligatoire s’est complètement désintéressée de ces domaines.
Une prise en charge importante par l’assurance maladie complémentaire
L’enquête de la DREES, qui s’est fondée sur un prix de référence de 3000 € pour deux oreilles, fait apparaître un taux de remboursement déclaré moyen par les organismes complémentaires de 31 % en 2009, tous contrats étudiés confondus. Ici aussi, les contrats collectifs assurent une couverture bien meilleure que les contrats individuels (40 % contre 23 %), alors même que les besoins en audioprothèses des populations couvertes par les premiers, qui sont pour la plupart des actifs, sont limités.
L’enquête déjà mentionnée d’une association de consommateurs fait ressortir pour sa part un taux de remboursement moyen de 6 % pour les contrats individuels d’entrée de gamme, 18 % pour les contrats intermédiaires et de l’ordre du tiers pour les contrats de haut de gamme.
Pour les assurés sociaux, un reste à charge final très inégal
Après prise en compte de l’assurance maladie obligatoire (9 %) et de l’assurance maladie complémentaire (31 %), le taux de reste à charge pesant sur l’assuré était de l’ordre de 60 % en 2009 selon la DREES. Ce taux est plus élevé pour les contrats individuels : selon l’enquête mentionnée ci-dessus d’une association de consommateurs, il variait en 2011 entre 86 % pour les contrats individuels d’entrée de gamme et 59 % pour ceux de haut de gamme. Les autres études montrent un reste à charge du même ordre de grandeur.
Les bénéficiaires de la CMUC ont droit, tous les deux ans, à un appareil auditif pour lequel elles sont remboursées 443,63 €. L’audioprothésiste a l’obligation d’être en mesure de leur fournir un appareil à ce prix. Dans le cas de l’acquisition d’un appareil plus cher, le supplément est à la charge de la personne. Si un second appareil est acquis avant le délai de deux ans, il ne bénéficie que du remboursement de droit commun.
Dès lors, le reste à charge est nul pour les personnes qui se contentent d’un « appareil CMU ». Il en résulte une pratique fréquente consistant à ne s’équiper que d’une oreille dans un premier temps et à faire l’acquisition du second appareil deux ans plus tard, lorsqu’un remboursement à 100 % est à nouveau accordé.
Sur l’ensemble de la population, un adulte sur six déclarait alors avoir renoncé à des soins pour des motifs financiers au cours des 12 derniers mois : 12 % de ces renoncements concernaient l’optique, soit 2 % des adultes. Cette donnée est à rapprocher des moins de 5 % de la population qui ne sont pas couverts par une assurance complémentaire santé.