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La difficile intégration des Sourds mauritaniens

Article publié le samedi 5 mai 2012.


Formant une communauté fermée vivant presque en autarcie, ils sont souvent assimilés à des marginaux dans une société qui a tendance à rejeter tout individu vivant avec un handicap. État des lieux.

En Mauritanie, pays de l’ouest africain, les causes de la surdité sont principalement la méningite, les traumatismes crâniens, les otites aiguës et les bouchons de cérumen, les nuisances sonores urbaines, industrielles et minières. Il y a aussi la surdité héréditaire causée par les unions consanguines très répandues dans le pays. Les progrès de la médecine et la systématisation des programmes élargis de vaccination ont fait reculer l’incidence de la méningite sur les causes de la surdité. Le traitement médical (ORL) de la surdité réussit rarement à guérir le patient, dans la plupart des cas ses effets sont seulement calmants ou stabilisants.

L’appareillage auditif est très récent, du fait de son coût qui était très élevé. Il n’y avait pas de centres d’appareillage auditif dans le pays, une infime minorité de Sourds issus de familles aisées pouvaient en acheter, et cette acquisition se faisait depuis l’étranger. La situation est maintenant inverse : depuis quelques années, le Forum Mauritanien des Sourds entreprend des campagnes gratuites d’appareillage, en partenariat avec des spécialistes soudanais. Mais l’incidence du port de ces aides auditives est faible car beaucoup de Sourds préfèrent garder leur état naturel. Des cliniques privées proposent aux Sourds des prothèses pour un coût d’environ 400.000 Ouguiyas (un peu plus de 1.000€), avec cependant un problème récurrent d’entretien et de réparation, en l’absence de techniciens spécialisés. Pour ce faire, les appareils sont expédiés à l’étranger ou abandonnés lorsqu’ils sont endommagés. Quant aux implants cochléaires, ils sont pour le moment inexistants.

Un cycle scolaire réduit.

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Les enfants sourds n’ont commencé à accéder à l’enseignement que dans les années 80, à la faveur d’une initiative de l’organisation nationale des personnes handicapées de l’époque, l’Union Nationale des Handicapées Physiques et Mentaux de Mauritanie (UNHPM) qui avait ouvert une école expérimentale avec un enseignant spécialisé étranger. Par la suite, l’Etat s’est approprié le projet en construisant une école spéciale dans la capitale, Nouakchott. L’enseignement est bilingue (arabe-français), les langues des signes utilisées sont l’ASL (American Sign Language) et les signes arabes. Il n’y a pas de système verbo-tonal car les écoles spécialisées ne sont pas pourvues d’unités d’orthophonie. Un écueil : le cycle se réduit à l’enseignement du primaire sans perspective d’aller au-delà. La lecture sur les lèvres est réservée aux adultes sourds, tant pour les dialectes locaux que pour les langues arabe et française.

Le résultat tiré de l’enseignement spécialisé est décevant. Les Sourds qui fréquentent les écoles spécialisées ont un niveau faible en lecture, calcul et vocabulaire. Tandis que le personnel enseignant spécialisé, très réduit, ne dispose pas des capacités pédagogiques requises du fait de la faiblesse de sa formation. Bakary Abdoulaye Tandia, enseignant fondateur et directeur d’une école pour Sourds ouverte en octobre 2009 au Guidimakha (région du sud) résume ainsi la situation de l’enseignement spécialisé : "Mon école a deux classes, une première et une deuxième année, et ne dispose que d’un seul enseignant. En Mauritanie, les difficultés sont la formation des enseignants en langue des signes et le manque d’espace pour accueillir les enfants sourds en âge d’être scolarisés."

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Mohamed Dieng, artiste-peintre

Mohamed Dieng, artiste-peintre, est une exception scolaire : "J’étais entré à l’école ordinaire, à Rosso, avec une surdi-mutité, mais grâce à un bon maître d’école, patient et attentif à mon égard, j’ai pu apprendre jusqu’à réussir l’examen d’entrée en première année du collège que j’ai fréquenté jusqu’en classe de 3e. Les difficultés de continuer m’avaient contraint d’arrêter. Je m’étais ensuite rendu à Nouakchott. De là, j’ai été accueilli à la Maison des artistes-peintres mauritaniens où j’ai pu apprendre les arts plastiques. Aujourd’hui, je suis un bon artiste. Je travaille pour mon propre compte et j’arrive, tant bien que mal, à vendre certains de mes tableaux. Depuis deux ans, je suis un formateur (rémunéré) de jeunes Sourds en arts plastiques à la Maison des sourds."

Jusqu’en 2009, Il n’y avait qu’une seule école spécialisée pour les Sourds mauritaniens, à Nouakchott, mais un timide mouvement se dessine désormais. Dans deux régions du pays, des classes expérimentales ont été ouvertes avec l’appui de l’ONG hollandaise Silent Work qui gère la Maison des Sourds à Nouakchott. Par ailleurs, le Forum des Sourds expérimente, cette année, un cycle secondaire, mais sans le personnel éducatif spécialisé qualifié ni les outils pédagogiques et didactiques nécessaires.

Aujourd’hui, les jeunes sourds commencent à appréhender l’importance de la pratique sportive comme moyen d’épanouissement et de lutte contre le stress. Ils pratiquent le football, l’athlétisme, les arts martiaux et le basketball. Récemment, deux jeunes sourds ont été primés lors du Marathon International de Nouakchott, sur une distance de 10km.

L’Etat ne reconnaît pas encore officiellement la langue des signes mais l’ordonnance 043/2006 portant protection et promotion des personnes handicapées stipule en son article 9 que "l’Etat adopte un langage de signes unique pour les malentendants afin de leur faciliter la communication." Ce même article énonce également que "les télévisions publiques et privées utilisent les services des spécialistes dans le langage des signes pour permettre aux malentendants de suivre les journaux télévisés." Actuellement, et pour la première fois depuis l’indépendance du pays en 1960, la télévision est en train d’adopter l’information en langue des signes en arabe et en français, ce qui représente une réelle avancée.

Barrières au passage des concours.

Les centres publics de formation professionnelle n’accueillent pas les Sourds, en raison de l’absence d’examen spécifique pour eux. Le résultat est, en dehors de quelques rares formations chez les artisans, que les Sourds demeurent sans qualification professionnelle. Mais la Maison des sourds s’est dotée d’un Centre de formation intégrant la couture, les arts plastiques, la menuiserie, la boulangerie, l’informatique et l’alphabétisation en langue des signes. L’Association d’Education et d’Appui aux Enfants Sourds et Handicapés (AEAESH) s’intéresse pour sa part à la formation des jeunes filles en couture et tressage. Il reste, cependant, à résoudre l’équation du niveau scolaire des Sourds. Heureusement, nombre d’entre eux ont une forme particulière d’intuition qui leur a permis de devenir de très bons artistes plasticiens, des menuisiers qualifiés et des couturiers.

Le travail est le domaine dans lequel les Sourds souffrent le plus d’exclusion, le chômage est massif parmi eux. La première raison tient à l’absence de qualification professionnelle, la seconde aux préjugés tenaces qui présentent les Sourds comme des paranoïaques ou schizophrènes ne pouvant pas travailler en collectivité avec les entendants ! Ainsi les Sourds ne peuvent-ils effectuer, dans le pire des cas, que des travaux durs, comme maçons, menuisiers, dockers ou vendeurs d’eau. Il est arrivé à l’Association Mauritanienne pour la Promotion des Déficients Auditifs et de la Voix (AMPDAV), s’occupant de l’insertion des Sourds dans la vie active par le biais de financement de petites activités génératrices de revenus, d’adresser aux entreprises publiques ou privées des demandes d’emploi pour de jeunes Sourds. A son grand dépit, elle voit ses courriers rendus sur le champ comme de vulgaires chiffons de papier !

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Simballa Traoré

Simballa Traoré ne parvient que très rarement à décrocher du travail. Père d’une famille nombreuse, il est obligé de se débrouiller pour la nourrir : "Je suis peintre en bâtiment. Je n’ai jamais pu vivre de mon métier, car les employeurs refusent systématiquement de me recruter à cause de ma surdi-mutité. J’ai aujourd’hui 60 ans. Je suis devenu vieux, sans allocation de retraite ni assistance publique. Je suis obligé de travailler comme cireur et réparateur de chaussures usagées. Je gagne très peu mais cela vaut mieux que rien. Je souffre vraiment, mais je n’ai pas le choix. Les gens ne veulent pas me faire travailler parce qu’ils me considèrent comme un incapable. Voilà !"

Une vie en société difficile.

La vie en société est un véritable calvaire pour les Sourds, c’est dans ce domaine qu’ils rencontrent les pires difficultés. Au niveau familial, d’abord : les Sourds y sont généralement en conflit avec les membres de leurs familles. Les barrières de communication en sont une des causes mais il y a aussi la tendance des parents à vouloir infantiliser à vie leur progéniture. Surprotégés, ou enfermés dans le cocon familial, les Sourds n’appréhendent que difficilement les codes de la vie en société. Ce sont surtout les femmes et filles sourdes qui souffrent le plus de ces comportements dépersonnalisants. Les Sourds se sentent exclus et subissent une discrimination négative, d’où leur tendance à vivre en autarcie, entre eux.

Yacouba Cissokho, 26 ans, est tailleur dans un marché de la banlieue El Mina. Son travail, c’est de raccommoder les habits déchirés que lui apportent des clients pauvres. Il nous parle de sa situation, lui qui a appris toutes les ficelles de la couture sans en tirer la moindre reconnaissance :

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Yacouba Cissokho, tailleur

"Je suis un tailleur qui a été formé pendant plusieurs années. J’avais commencé par travailler avec des entendants mais c’était compliqué : ils ne me respectaient pas et prenaient du plaisir à me ridiculiser tout le temps. Las, j’ai quitté. Mais lorsque j’ai voulu ouvrir un atelier, je m’étais heurté à l’incompréhension des clients qui se demandaient si un Sourd peut être tailleur. Ils n’acceptaient pas de me confier la couture de leurs habits. Ne pouvant pas me résoudre à vivre au crochet des autres, j’ai loué une place devant cette boutique au marché. Je raccommode les habits déchirés que m’apportent des gens fauchés, moyennant quelques pièces. Je gagne certains jours 1.000 Ouguiyas (environ 2.50€), d’autres moins. Ma grande consolation, c’est que, grâce à ce travail, j’ai pu me marier l’année dernière. Je vis avec ma femme."

Lorsque les Sourds arrivent à l’âge de fonder un foyer, ils rencontrent de nombreux problèmes, dont le premier est de trouver un partenaire. Les barrières de communication, analphabétisme oblige, même en langue des signes, font que le mariage entre deux personnes sourdes est souvent source de conflits permanents, du fait des mésententes récurrentes. Les personnes valides, elles, répugnent à épouser des personnes sourdes, et en cas de mariage avec celles-ci, le taux des divorces est extrêmement élevé.

Présentés comme schizophrènes ou paranoïaques, alors qu’ils ne souffrent que de dépression ou de stress, comme tout être humain, liés à leurs conditions de vie difficiles dans la société, les Sourds mènent un combat contre ces épithètes irrespectueuses de leur dignité. L’absence de suivi psychologique, rareté de psychologues oblige, fait qu’ils n’ont pas la possibilité de bénéficier de l’appui thérapeutique nécessaire à leur équilibre physique et psychique.

En Mauritanie, la surdité est presque perçue comme une déviance sociale. Et cela complique la vie des Sourds, freine leur intégration dans la société. Or, il y a un fait ténu que les personnes valides refusent d’admettre : les besoins fondamentaux de tous les humains, entendants ou sourds, sont essentiellement les mêmes, le développement d’une personnalité saine se fonde sur la satisfaction adéquate de ses besoins.

Mamadou Alassane Thiam, mai 2012.

Source : Yanous


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